Le Lieu alchimique
N'est-il pas étonnant que le "lieu du corps" où se manifeste
notre amour le plus intense et le plus profond, notre joie,
soit aussi celui où la souffrance nous transperce?
Lieu par là même singulier, alchimique, où s'épousent deux
états si antinomiques: l'amour et la douleur. Expérience
que chacun porte et reconnaît au milieu de sa poitrine,
quels que soient sa culture, sa race, son sexe, son âge,
sa religion, l'époque dans laquelle il vit.
"L'esperanto," cette langue qui se veut commune à toutes,
n'est-elle pas inscrite là, dans cette "origine intérieure"
que nous partageons tous? Notre communication avec
nous-mêmes et avec l'autre, notre "esperanto" justement,
n'est-ce pas ce "langage du cœur", cet espoir du cœur? Et je
l'entends tout à fait concrètement: "ce qui parle dans le
corps", lorsque nous sommes touchés par "aimer et souffrir"…
ces "étranges parents", dont les enfants s'appellent Joie,
Beauté, Pardon, Compassion.
UN LANGAGE UNIVERSEL
"Langage du cœur", qui se passe de mots, même de gestes!
Il fonctionne, transmet, lorsque tout nous sépare.
Alors même que nous sommes impuissants à réduire
l'incompréhension, la distance, les croyances, les désirs et
les craintes, les conflits, qui nous rendent étrangers l'un
à l'autre. Etrangers à nous-mêmes.
Si d'aventure, vous vous retrouviez dans quelque "brousse
d'un autre millénaire", seul, démuni, face à un aborigène -
maître inconnu d'un univers dont vous ne savez rien…et qui,
lui-même, n'a pas la moindre notion du vôtre - que vous
resterait-il ? Face à qui nous inspire de la peur, de la
colère, ou ce sentiment d'impuissance à communiquer… à lui
venir en aide… devant cet "aborigène, cet étranger"… - peu
importe qu'il se manifeste dans notre "monde intérieur",
notre famille proche, ou la "brousse de notre société"- que
nous reste-t-il? ‘‘Fermez vos yeux, déposez votre
savoir, vos armes, qui ne vous sauvent plus, votre
agressivité, mais aussi votre douleur et votre crainte,
devant vous, sur le sol. Et vos mains vides - vides mais
libres! - vos mains ouvertes, posez-les sur la porte du
Coeur, au milieu de votre poitrine. Laissez alors votre
attention descendre, par dedans, par le creux du corps… se
loger au milieu de vous, juste derrière vos mains.’’
PUITS ET
MATRICE
Vous serez peut-être surpris de découvrir qu'il y a là un
espace, une "matrice:" tout ce qui vous habite, vous
émeut, vous désarçonne, et même cet "autre", parfois si
difficile à accueillir, peuvent y trouver refuge, être
adressés dans un langage commun. Vous pouvez y entendre leur
réponse. C'est là que réside votre capacité de créer
un lien. Vous venez de le faire! Par cette simple attention
à ce qui est central en vous.
Il y a dans le Cœur un "puits" si profond qu'il va jusqu’en
"Australie". Jusqu'à cet "étranger" en nous-mêmes ou en
l'autre. Il y a une "descente en soi" qui unit nos pôles
opposés, transcende nos incompatibilités. Il y a dans le
Cœur une "voie directe", plus rapide que le son, plus
pénétrante que nos flèches, plus sage que notre raison. Le
seul langage, la seule religion, que nous partageons tous.
Le seul "Livre" commun.
Le livre que
tous savent lire
Ouvrir le Cœur, et là je parle d'une simple décontraction
dans le corps, à quelque 30 cm. au-dessous de votre tête
(qui elle, continue peut-être à dire "non"). Un mouvement…
comme ouvrir la main… sauf que cette "main fermée, cette
crispation", se trouve au milieu de la poitrine…Un petit
mouvement d'ouverture. L'intention suffit. Lorsque le
"Livre" s'ouvre, il parle de lui-même, l'on n'a pas
besoin de faire quelque chose, si ce n'est cette descente,
ce retour vers le Cœur de soi. Car là est aussi le centre du
monde. Le centre de l'autre, le centre de tous.
Venons-nous d'épuiser "le faire, le savoir et l'avoir"
? C'est très vite là ! Cela nous arrive chaque
jour, dès que nous entrons en conflit, que nous sommes à la
merci d'un problème, d'une "alternative impossible"… d'un
"ou bien, ou bien" qui nous ampute, sépare le pile et le
face de notre être, nous partage en deux! Nous ne songerons
alors, qu'à analyser les événements, à argumenter, à
reprendre notre pouvoir, sans comprendre que nous
avons perdu le "lien du Cœur", le "lien énergétique," qui
nous reliait l'un à l'autre… Sans ce "lien",
nous ne parlons plus la même langue. Nous ne nous
entendons plus: nous crions dans le désert, il n'y a plus
personne dans ce face à face! Nos mots vides ne seront pas
reçus. Il ne reste de notre relation que "comptabilité, des
plus et des moins", qui ont perdu leur âme.
le bonheur, la
réussite sont-ils un but ?
Nous croyons qu'avoir raison, être toujours meilleurs, plus
riches, plus heureux, en harmonie, résoudra nos problèmes,
qu'il nous faut conjurer pour cela, tout ce qui est
"mauvais et douloureux" en nous… C'est une question à se
poser. Car cela ne nous entraîne-t-il pas à cacher notre
vulnérabilité, à cacher ce que nous ressentons? Mais
renier ce qui nous blesse, notre pauvreté, notre incapacité,
la violence intérieure, l'inacceptable en nous, c'est
rejeter la moitié du monde… Et cela nous saute
contre au détour du chemin. N'y a-t-il pas plutôt à
s'interroger: ‘‘ Pourquoi dans la nature humaine, dans le
corps de chacun, y a-t-il ce Lieu où précisément habitent,
dans un "même appartement", ces locataires si dissemblables
que sont notre amour et notre douleur, notre manque et notre
plénitude? ‘‘
manque et
plénitude se rejoignent dans le cœur
Manque et plénitude, amour et douleur, une porte à deux
battants - l'un que nous poussons volontiers… l'autre que
nous évitons à tout prix!
- mais dont chacun donne accès à la même chambre: celle du
Cœur! N'y a-t-il pas là un Mystère, une piste, une alchimie?
Une invitation à prendre confiance. Confiance
qu'entrer volontairement dans notre souffrance, dans notre
manque, conduit à l'amour. Confiance, que même si
notre amour nous confronte à la souffrance - dès que nous
nous croyons abandonnés, rejetés ou trahis - il y a dans
notre cœur, dans le cœur de chacun, un amour intrinsèque,
que rien ni personne ne peut nous enlever. Il suffit, pour
en avoir l'évidence, de s'y relier… de frapper à cette
"double porte", d'accueillir sans discriminer, sans se
vouloir "autre", sans fuir ce qui nous blesse, nous fait
peur, nous souvenant que là-même est la Porte.
colère et
chagrin
En un clin d'œil, ce qui s'appelait "Joie", s'appelle
"Colère et Chagrin".
L'autre a emporté de nous quelque chose. Nous nous sentons
victimes d'une injustice. Nous accusons: ‘’Nos parents ne
nous ont pas aimés… ni assez, ni assez bien. Nos conjoints,
nos partenaires - après avoir été "La Bête qui se fait
Prince "- ont repris leur ancienne peau! Nos enfants sont
des ingrats.’’ Chacun se sent trompé, lésé. Quant à la Vie,
elle nous nourrit d'épreuves, elle nous enlève pièce par
pièce, lambeau par lambeau, ce qui constitue "notre faire,
notre savoir, notre avoir". Mourir, c'est laisser tout
cela. Nous ne survivons que dans le cœur aimant.
Entrer par la douleur, par le manque, vivre son deuil … Mais
la colère, mais le cri contre l'injustice, qu'en est-il?
Devant la "porte à deux battants", il y a notre frontière.
Elle marque notre territoire. Assure par là même notre
capacité d'accueil. Garantit la paix, dans ce "pays du Cœur"
justement. Cette "limite" a un Gardien, un Veilleur, qui
nous avertit: ‘‘ Envahisseur, souffrance en vue, ‘‘
qui sonne le tocsin! Parce qu'un coup vient de nous
atteindre, parce qu'un "voleur de cœur ou de biens" a passé
par là. Ainsi, la colère pointe en nous sur le battant
le moins attrayant de la Porte du Cœur, celui où s'inscrit
au fronton: ‘‘Douleur et manque, perte, impuissance,
inconnu,’’ celui par lequel il nous est si difficile
d'entrer. Mais la colère nous dit aussi: ‘‘Tu ne t'es pas
respecté.’‘ Nous venons de nous laisser envahir,
non pas par l'amour de l'autre, mais par sa possessivité. Ou
encore, nous venons "d'acheter son amour" par quelque
complaisance, mais il ne nous a pas payés de retour.
Avons-nous oublié que cette "denrée" est inaliénable,
gratuite, incontrôlable? Qu'elle ne s'épuise pas.
Pour en faire l'expérience, il faudra que nous reprenions
notre place: là dans notre propre Cœur, non pas dans le
"pays de l'autre"! Il s'agira de signaler notre frontière,
de revenir à soi plutôt que d'attaquer autrui, de rapatrier
nos projections: "l'amour-demande", ce qui dans notre colère
pointait vers notre douleur… ou /et notre limite… Nous
nous laissons emporter parce que nous abandonnons notre
place"…Mais quelle est-elle? A nous de la retrouver, de
l'occuper, en revenant vers notre corps, vers notre profond,
vers le centre de soi. Notre place n'est jamais ailleurs.
Garantir la paix, c'est nous tenir au milieu notre propre
territoire: corps et cœur. Ne pas le déserter sous prétexte
de se concilier l'autre, ou de prouver ses torts. Se
déserter, c'est ce que nous faisons, lorsque nous fuyons
notre douleur, lorsque nous lançons nos accusations.
Revenir à soi, "c'est se reprendre", non pas au figuré, mais
très concrètement, en cessant de focaliser sur " la partie
adverse", pour nous relier à ce que nous ressentons.
Pour descendre dans notre puits si obscur, pour "écouter
dedans": ‘‘ Que nous dit notre colère? Que
nous dit le chagrin qui est dessous? La peur qui se cache
encore plus bas? ‘‘ S'apercevoir alors, que ce puits qui se
creuse dans le cœur, dans le corps, nous conduit vers un
Amour qui est la nature même de notre moi le plus
intime… Découvrir là, que rien ne nous manque,
que ce puits, si l'on s'y jette, va jusque en "Australie",
rejoint le "côté de l'autre", si inaccessible, si étranger…
Lorsqu'il fait nuit en nous… descendre… descendre encore…
parce que le soleil se lève sur l'autre face du monde, non
pas à la cime de notre ingéniosité, mais au-delà de notre
point le plus obscur. Nous pourrons alors "donner de ce
soleil qui ne se couche jamais," de cet amour qui ne
s'épuise pas, parce qu'il ne dépend pas du monde extérieur.
Comment
pardonner
Honorer nos frontières, revenir à nous-mêmes en devenant le
disciple de notre inconfort, de notre colère, de notre
chagrin, descendre en notre cœur qui contient notre amour,
en sont les conditions. Nous retrouvons alors notre
richesse, ce que nous avions cru volé ou perdu… Car il sera
difficile, peut-être impossible, de pardonner, si nous
restons dans la conviction que l'autre - par ses agressions,
par ses abandons, parce qu'il ne partage pas nos valeurs,
nos croyances - nous a privé de notre essentiel.
Pardonner, n'est-ce pas se rendre à l'évidence que l'autre
ne nous a rien pris? Que rien ne nous manque, parce que tout
est en nous.
L'essentiel
N'EST PAS DANS NOS MAINS
L'essentiel n'est pas dans nos mains, mais dans notre Cœur,
on ne peut ni le conquérir, ni le perdre. On ne peut que
le reconnaître. Et nous pouvons ouvrir nos mains, lâcher nos
armes, sans crainte de l'égarer!
L'essentiel a en nous sa Demeure: dans ce "Lieu du Cœur,"
dans ce "Vide intérieur," qui habite nos poitrines et nous
fait d'abord si mal et si peur. Car peut-il y avoir
"matrice, enfantement," espace d'amour et de
création, sans ce vide justement? Sans ce dépouillement,
cette perte de ce à quoi nous tenons. Sans ce manque, sans
cet arrachement, qui nous enlève l'autre, mais
seulement parce qu'il naît à lui-même. Et si nous
voulons bien dire "oui" à cela, entrer par le battant qui
s'appelle "souffrance, insuffisance," aussi bien que par
"celui où l'on risque son amour" - car tous deux sont la
Porte – nous découvrirons qu'au fond de notre incertitude,
au fond de notre puits, réside la source d'un aimer, que
rien ne peut altérer, parce qu'il est notre essence même.
D'aucuns l'appelleront Dieu, ou Vie.
Ne sommes-nous pas invités à ce "postulat"? A une libre
adhésion. Si nous consentons à notre souffrance, à la
tension de ce qui s'oppose en nous, comme aux "douleurs d'un
enfantement: celui de notre "conscience d'amour,"
nous cesserons d'être des victimes, pour être des
"engendreurs, des éveilleurs", pour être matrice, parents
d'un enfant nouveau qui porte le futur du monde.
l'enfant divin,
le fruit de notre compassion
La compassion naît de notre souffrance, reconnue, librement
consentie. De notre souffrance lorsqu'elle devient notre
offrande. N'est-ce pas précisément en elle aussi, que se
révèle et s'incarne celle de notre prochain?
Alors, sous sa colère nous savons son chagrin, et sous son
chagrin nous savons sa peur, sa pauvreté, son vide, et plus
profond encore, nous reconnaissons son amour, sa lumière,
son Enfant-joie.
Parce que nous l'avons reconnu en nous-mêmes, parce que
nous l'accueillons dans le vif de notre expérience, de notre
chair, nous apprenons à nous aimer, à aimer l'autre. Il y
aura Rencontre, car tous les cœurs vibrent au même diapason.
Le pardon naît de cette confiance en notre propre amour, de
cette confiance en la nature d'amour de tout homme.
Si vous cherchez le "diapason", descendez - par l'intérieur-
jusqu'au Cœur. Ce n'est pas loin, c'est toujours avec vous,
à quelque 30 ou 40 cm. de votre tête… dans ces moments si
pénibles, mais si mystérieusement fertiles, où nous n'avons
plus la
réponse.
©
1999 Adelheid Oesch
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Pour en savoir plus:
Adelheid Oesch,
Rue Cité-Derrière 8, 1005 Lausanne * Tél. 004121/ 323 15 01
* Enseignement et pratique du "Dialogue Intérieur".
Consultations individuelles, de couple, cours de formation,
travail de groupe et stages.
Site web
: www.dialogueinterieur.com
BIBLIOGRAPHIE :
Adelheid Oesch : Aux
Editions Le Souffle d’Or
‘’L’Arche du Cœur. La multiplication par l’Un’’ 1999
Tome I Du « Dialogue Intérieur » au silence
Intérieur
Tome II Manuel d’Exercices. Le « Dialogue Intérieur,
clé d’une conscience unifiée.
Hal et Sidra Stone :
" Le Dialogue Intérieur" Souffle d’Or 1991 (épuisé)
" Les Relations source de croissance" Souffle d’Or
1991(épuisé)
" Votre critique intérieur : ennemi ou allié" 1994
(épuisé)
‘’L’alliance amoureuse’’ Ed.
Le Jour 2001
Sidra Stone : Aux Editions Le Souffle d’Or
‘’Le patriarche Intérieur : êtes-vous sûre d’en être
libérée ? ‘’ 1998
Ø
Pour les rééditions en français des ouvrages épuisés :
Voir
http://www.voice-dialogue-sud.com/
Warina Editions
Ø
Pour les originaux anglais :
Voir le site de Hal et Sidra Stone :
http://www.voicedialogue.org
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